Thématique

Apprendre dans, par, en, avec (l’) alternance :
enjeux et perspectives pédagogiques


Apprendre dans, par, en, avec (l’) alternance : enjeux et perspectives pédagogiques


Colloque organisé par le réseau pour l’apprendre en alternance (RésAAlt)

www.resaalt.com

Lieu et date du colloque : Lyon (France), 20-22 novembre 2024


Argumentaire scientifique :


Le regain d’intérêt pour les formations professionnelles se réclamant d’une pédagogie de, par, en, avec (l’) alternance témoigne de la quête réitérée de pédagogies dont on espère qu’elles répondront aux grands enjeux des sociétés apprenantes : une école plus égalitaire dans ses finalités et dans ses principes, une école plus inclusive, une école en mesure de préparer aux emplois d’aujourd’hui et de demain, etc. En raison de ce retour de flamme pour une alternance si longtemps espérée (Houssaye, 1997), les politiques et dispositifs de formation professionnelle des jeunes et des adultes inscrivent désormais l’alternance comme paradigme organisationnel, stratégique et pédagogique (OCDE, 2018) de l’ingénierie des formations. L’ensemble des acteurs impliqués dans ce new deal éducatif (prescripteurs, financeurs, formateurs, tuteurs, maîtres d’apprentissage, élèves, apprentis et étudiants, ingénieurs de formation et ingénieurs pédagogiques, etc.) est en ce sens incité à placer, au cœur des parcours de formation et des curricula proposés, de l’alternance. Il en résulte aujourd’hui, notamment en France qui accusait jusqu’alors un retard significatif vis-à-vis de ses voisins européens, une forte augmentation tout à la fois du nombre d’apprenants engagés dans des formations en alternance mais aussi de celui des organismes de formation mettant en œuvre des formations de ce type – et ce, tout secteur d’activité, métiers et niveaux de formation confondus. Même l’enseignement supérieur, dont certaines filières étaient restées jusqu’à présent éloignées de ces configurations formatives, s’en réclament désormais et développent une offre de formation délibérément structurée en ce sens.

 

Si les dimensions et conditions politiques, stratégiques et organisationnelles de ces formations se réclamant de l’alternance semblent bien identifiées et faire aujourd’hui consensus chez les acteurs politiques comme dans les communautés de praticiens et de chercheurs, il demeure une zone d’ombre : la pédagogie. En effet, on admettra bien volontiers que si les expressions « pédagogie de l’alternance », « pédagogie par alternance » ou « pédagogie en alternance » sont présentes dans les injonctions à développer des formations professionnelles dites plus « professionnalisantes », peu de textes et de travaux de recherche s’aventurent à définir et à caractériser cette pédagogie dans ce qu’elle aurait de spécifique (Maubant et Gremion, 2022) et sur les liens qu’elle entretiendrait avec l’apprendre et l’aider à appendre (Fernagu, 2018), un apprendre au sens fort du terme (Reboul, 1980 ; Aumont et Mesnier, 1982 ; Bourgeois et Chapelle, 2015 ; Carré et Mayen, 2019).

 

Un rapide tour d’horizon des publications disponibles (qu’elles soient ou non scientifiques) montre que l’alternance comme système éducatif et formatif est traitée de manière très éclectique et souvent sur le mode opportuniste. Elle semble en effet être tout à la fois philosophie de formation, figure éducative, posture formative, métaphore prometteuse d’un idéal social, notion polymorphe d’une marchandisation de l’Éducation, opportunité économique, outil de rentabilité, modèle pédagogique alternatif, écosystème d’apprentissage, slogan idéologique et politique, forme didactique singulière, stratégie curriculaire, etc. (consulter notamment sur ce point les publications de Geay et Sallaberry, 1999 ; Agulhon, 2000 ; Mehran, Ronveaux et Vanhulle, 2007 ; Maubant, 2013 ; OCDE, 2014 ; Fernagu-Oudet, 2015 ; Maubant et Roquet, 2016 ; Gremion et Zinguinan, 2021 ; Gremion, 2022 ). Il est donc difficile de se repérer dans ce paysage complexe bien souvent marqué du sceau de l’idéologie managériale, et d’oublier que l’alternance fut longtemps, avant d’être considérée comme une voie d’excellence, traitée dans certains pays et par certaines organisations, comme une voie “réparatrice”, une voie par défaut, pour celles et ceux que l’on considérait incapables de s’engager dans des filières académiques dites « ordinaires ».

Nous trouvons également des publications cherchant à qualifier et décrire les pédagogies mises en œuvre au sein des organisations dont l’offre de formation se réclame délibérément de l’alternance (consulter notamment les publications de Bourgeon, 1979 ; Clénet, 2003 ; Fourdrignier, 2012 ; Boudjaoui et Gagnon, 2014 ; Fernagu, 2018 ; Chaubet et al., 2018 ; Denoux, 2019 ; Fernagu et al., 2022). Soulignons alors que les différentes formes d’alternance mises en évidence dans ces travaux s’intéressent plus souvent aux ingénieries qu’aux pédagogies, à ce qu’elles cherchent à lier plus qu’à ce qu’elles relient ou délient. Elles offrent néanmoins l’occasion d’interroger directement les finalités de la formation (Lamamra et al., 2021), les valeurs de l’éducation (Reboul, 2018), les conceptions de l’apprentissage et de la formation (Durand et Bourgeois, 2012 ; Houssaye, 2014 ; Carré et al., 2024), les rapports aux savoirs et aux mondes (Fabre, 2011), etc. c’est-à-dire l’ensemble des éléments permettant l’expression, la caractérisation et la qualification de toute pédagogie, et en particulier celle dont il est question ici pour élucider l’apprendre dans, par, en, avec (l’) alternance !

 

Pour tenter de dresser un portrait de ce type de pédagogie – de ses attributs et caractéristiques, mais aussi de ses pratiques et de leurs effets – nous nous attarderons, en situation et en contexte,  non seulement sur l’activité des apprenants[1] d’une part (sur ce qui les met en capacité d’apprendre des savoirs, un métier, etc.) mais aussi sur celle des professionnels[2] qui œuvrent auprès de ces derniers d’autre part (sur ce qui les met en capacité d’aider à apprendre mais aussi d’apprendre de leurs pratiques pédagogiques). S’intéresser à ces mises en capacité, aux apprentissages en train de se faire, aux compétences mobilisées, aux savoirs détenus et transférés, aux conditions de l’activité, aux reliances opérées entre théorie et pratiques, formation et travail, dispositifs et dispositions, expérience et apprentissage, etc. sont quelques-unes des conditions pour comprendre ce qu’est apprendre dans, par, en, avec (l’)’alternance.

Cette activité, parce qu’elle est extrêmement contingente et singulière, pourra être appréhendée de manière dialectique et dialogique entre les niveaux psychopédagogique (au niveau des dispositions individuelles par exemple) et socio-pédagogique (au niveau des dispositifs de formation, des terrains professionnels par exemple), voire socio-économique (au niveau des politiques d’établissements, des branches professionnelles ou des entreprises d’accueil par exemple) des contextes et situations d’apprentissage.

On questionnera en ce sens les espaces de l’apprendre et la manière dont ils conditionnent la forme et le contenu des expériences d’apprentissage, les compétences et les savoirs mobilisés, la professionnalisation en cours de construction ou à venir.

 

Ce colloque n’a de sens que parce qu’il est porteur d’une conviction : la conception et la mise en œuvre de situations se réclamant de l’alternance et potentiellement fécondes en apprentissages transformateurs (Maubant, 2013 ; Alhadeff-Jones, 2014) et/ou capacitants (Fernagu et al., 2022) relèvent d’une pédagogie particulière qui va, sous condition, témoigner d’une valeur ajoutée sur le plan de la professionnalisation des différents acteurs engagés dans ces formations. Cette quête d’une lecture descriptive et compréhensive des pédagogies de, par, en ou avec (l’)alternance exprime différents enjeux, d’ordre pédagogique certes, mais aussi sociaux et sociétaux qui conduisent irrésistiblement vers une seconde conviction : celle de la nécessaire formation et professionnalisation des acteurs qui accompagnent l’acte d’apprendre en contexte d’alternance, de la nécessité de les soutenir et les accompagner.

 

Pour répondre à ces différents enjeux, le colloque s’organise autour de trois axes de réflexion.

 

Axe 1 : Pratiques, démarches, méthodes et outils constitutifs d’une pédagogie de, par, en, avec (l’)alternance

Nombre d’acteurs de la formation professionnelle des jeunes et des adultes mobilisent cette configuration éducative et formative au prétexte qu’elle permet différentes reliances : entre formation et travail, entre apprentissages théoriques et apprentissages pratiques, entre situations et activités, entre expérience personnelle et expérience professionnelle, entre temps social et temps vécu etc. Mais concrètement, comment s’élaborent ces reliances, comment se construit la mise en capacité à relier, qui reste une pierre angulaire de l’apprendre dans l’alternance ?

De plus, elle s’avère, aux yeux d’un certain nombre de responsables institutionnels, être extrêmement pertinente tant dans une perspective gestionnaire et comptable (favoriser une employabilité à bas coûts) que stratégique (favoriser le rapprochement entre l’École et l’entreprise).

Mais si l’on regarde les apprentissages réels, l’alternance répond-elle aux finalités formatives, telles qu’elles sont espérées et attendues? Comment penser, mettre en œuvre et évaluer une pédagogie de l’alternance visant l’apprendre, la mise en œuvre réelle de l’acte d’apprendre, la réussite des apprentissages et la mise en capacité à apprendre ? Comment saisir et caractériser une pédagogie de l’alternance se donnant pour sens l’apprentissage d’autrui et l’apprentissage du pédagogue en devenir ?

 

Axe 2 : Professionnaliser les acteurs de l’alternance

La mise en œuvre de pratiques, démarches, méthodes et outils constitutifs d’une pédagogie de, par, en, avec (l’)alternance conduit à interroger la formation et la professionnalisation des acteurs qui initient, encadrent, mettent en œuvre, animent et évaluent (dans) des dispositifs et situations de formation se réclamant de l’alternance. Quelles sont leurs pratiques spécifiques ? Comment ont-ils construit ces pédagogies de, par, en, avec (l’)alternance ? Disposent-ils de modèles d’action et/ou d’un cadre paradigmatique ? Comment sont-ils recrutés et formés ? La pédagogie mise en œuvre est-elle évaluée et de quelles manières ? Comment pensent-ils et situent-ils l’acte d’apprendre en contexte d’alternance ? Comment penser une formation à la pédagogie de, par, en, avec (l’)alternance privilégiant l’acte d’apprendre comme paradigme d’un parcours de professionnalisation visant tout autant le formateur que l’alternant ? Il s’agira de s’interroger sur la spécificité de leurs pratiques, de leurs expertises pédagogiques et de la construction de celles-ci.

 

Axe 3 : Qualité des pédagogies de l’alternance

Lorsque l’on place des apprenants en situation d’apprendre et des formateurs en situation de former, la question de l’apprendre semble s’imposer comme d’ailleurs celle de l’évaluation. Comment faire de l’alternance une pédagogie spécifique, donc modélisable et pertinente au regard des objectifs fixées par la loi ? Peut-on considérer que la pédagogie constitue une valeur ajoutée sur le plan du développement humain et des apprentissages transformateurs ? Répond-elle ainsi aux grandes questions éducatives, sociales et sociétales ? Sommes-nous en mesure d’identifier des indicateurs susceptibles de garantir la présence, la permanence et la pérennité de cette valeur ajoutée ? Or, lorsque l’on cherche à mesurer la qualité de l’alternance, les indicateurs les plus fréquemment mobilisés sont : le taux d’insertion, le taux de satisfaction ou de réussite aux examens, la présence de journées favorisant les liens entre formateurs et tuteurs, le volume des heures de stage, etc. Ces indicateurs ne disent pourtant rien de la spécificité des situations de formation, ni des processus d’apprentissage, ni des pédagogies mises en œuvre. Les indicateurs les plus souvent mobilisés ne sont d’ailleurs guère différents des indicateurs propres aux autres formations plus académiques. La qualité de l’alternance ne devrait-elle pas être évaluée (et donc appréciée) à la lumière d’un « apprendre » spécifique, réussi et garant de l’émancipation des individus et des collectifs par ces mêmes individus et collectifs ? L’idée n’est donc pas de décréter une bonne alternance, ni de dégager un modèle, tant la pédagogie dans son histoire des idées nous incline à y renoncer, mais bien d’enrichir la réflexion sur la quête de la qualité des pédagogies de l’alternance.

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Bibliographie indicative

 

Agulhon, C. (2000). L’alternance, une notion polymorphe, des enjeux et des pratiques segmentées. Revue française de pédagogie, 131, 55-63.

Alhadeff-Jones, M. (2014). Théorie de l’apprentissage transformateur. Éducation permanente, 198, 141-154.

Aumont, B., Mesnier, P.-M. (1982). L’acte d’apprendre. Presses universitaires de France.

Biasin, C. (2018). L’apprentissage transformateur : état des lieux et portée heuristique d’un construit en développement. Phronesis, (7)3, 1-4. https://www.cairn.info/revue--2018-3-page-1.htm.

Boudjaoui, M., Gagnon, C. (2014). L’alternance en formation : nouveaux enjeux, autres regards ? Éducation et francophonie, (42)1, 1-9.

Bourgeon, G. (1979). Socio-pédagogie de l’alternance. Éditions de l’UNMFREO.

Carré P., et al. (2024), Traité des sciences et des techniques de la Formation - 5e édition, Dunod 

Chaubet, P., Leroux, M., Masson, C., Gervais, C., Malo, A. (2018). Apprendre et enseigner en contexte d’alternance. Presses de l’Université du Québec.

Clénet, J. (2003). L’ingénierie des formations par alternance. L’harmattan

Durand, M., Bourgeois, E. (2012) ; Apprendre au travail. Presses universitaires de France.

Fabre, M. (2011). Éduquer pour un monde problématique. La carte et la boussole. Presses universitaires de France.

Fernagu Oudet, S. (2015). Alternances et professionnalisation. Les dossiers des sciences de l’éducation [En ligne], 24 | 2010. URL : http://journals.openedition.org/dse/928

Fernagu Oudet, S. (2018). Vers une alternance capacitante dans les Écoles de la deuxième chance (E2C). Savoirs, 46, 47-69.

Fernagu, S. (2022). Guide pratique de la pédagogie de l’alternance. CESI-LINEACT.

Fourdrignier, M. (2012). L’alternance dans les formations sociales. Éducation permanente, (190)2, 91-101.

Geay, A., Sallaberry, J.-C. (1999). La didactique en alternance ou comment enseigner dans l’alternance. Revue française de pédagogie, 128, 7-15.

Gremion, C. (2022). Usages et mésusages des pédagogies de l’alternance. Phronesis, 11(1-2), 91-106.

Gremion, C., Zinguinian, M. (2021). (Dir.). Lorsque l’alternance vient soutenir la professionnalisation. Formation et pratiques d’enseignement en question, (27). https://revuedeshep.ch/no-27-lorsque-lalternance-vient-soutenir-la-professionnalisation/

Houssaye, J. (2014), La Pédagogie traditionnelle. Une histoire de la pédagogie. Editions Fabert

Lamamra, N., Kuehni, M., Rey, S., (dir.) (2021), Finalités et usages de la formation professionnelle

Antipodes, Lausanne, 296 p.

Maubant, P., Roquet, P. (2016). Les reliances de l’alternance en formation et ses effets sur les processus de construction identitaire des alternants. Phronesis, (5)1.

Maubant, P., Gremion, C. (2022). Les configurations plurielles de la pédagogie de, par, en (l’)alternance. Phronesis, (1)1-2.

Merhan, F., Ronveaux, C., Vanhulle, S. (2007). Alternances en formation. De Boeck Supérieur.

Niewiadomski, C., Remoussenard, P. (2018). Comprendre le travail éducatif dans sa diversité. Presses universitaires du Septentrion.

OCDE (2018). L’apprentissage et l’alternance en sept questions. Document télé-accessible : https://www.oecd.org/fr/publications/l-apprentissage-et-l-alternance-en-sept-questions-9789264307513-fr.htm

Reboul, O. (2018). La philosophie de l'éducation. PUF,  https://doi.org/10.3917/puf.rebou.2018.01

Reboul, O. (1980). Qu’est-ce qu’apprendre ? Pour une philosophie de l’enseignement. Presses universitaires de France.



[1] Les apprenants, ce sont des jeunes et des moins jeunes qui ont choisi d’apprendre un métier technique ou tertiaire différemment, en formation secondaire ou supérieure, intégrés ou non dans des CFA de branche, d’entreprise, interprofessionnels, etc. et qui naviguent entre les espaces de la formation (académiques, professionnels).

[2] Les professionnels, ce sont des enseignants, des enseignants-chercheurs, des formateurs, des tuteurs ou des maîtres d’apprentissage, etc. Ils œuvrent dans des organisations relevant de l’enseignement secondaire ou supérieur, dans des CFA de branches ou d’entreprise ou sur les terrains professionnels, etc.